Le vol en piqué du faucon pèlerin, entre prouesse physiologique et stratégie comportementale
Dans un plongeon fulgurant pouvant aller jusqu’à 400 km/h, le faucon pèlerin devient un vrai acrobate des airs. Derrière cette prouesse vertigineuse se cache une anatomie taillée pour la vitesse, une maîtrise absolue du vol et un instinct de chasseur sans égal.
Écrit par : Éléa Muras
L’action de chasse du faucon pèlerin se termine par un piqué, qui est spectaculaire à voir parce qu’il peut être déclenché à plusieurs centaines de mètres de la proie. Et cela fait partie des spectacles de la nature qui sont impressionnants.

Roi incontesté des cieux, le faucon pèlerin (Falco peregrinus) détient le titre de l’animal le plus rapide en piqué. Lorsqu’il fonce sur sa proie, il atteint des vitesses à peine imaginables : entre 300 et 400 km/h.
De tels chiffres s’expliquent par une adaptation exceptionnelle, une technique de vol parfaitement maîtrisée et une silhouette façonnée pour l’aérodynamisme.
Une technique de chasse redoutable
Le vol en piqué n’est pas seulement un exploit de vitesse, mais une stratégie de chasse unique. Après avoir pris suffisamment d’altitude, le faucon repère sa cible et anticipe la vitesse, le déplacement et la réaction de celle-ci. « L’action de chasse du faucon pèlerin se termine par un piqué, qui est spectaculaire à voir parce qu’il peut être déclenché à plusieurs centaines de mètres de la proie. Et cela fait partie des spectacles de la nature qui sont impressionnants », explique Pascal Carlier, enseignant-chercheur en sciences cognitives et éthologie à l’Université Aix-Marseille.
Une fois prêt, l’oiseau replie ses ailes contre son corps pour prendre la forme la plus aérodynamique possible et se laisse tomber tel un obus dans un plongeon contrôlé tout en ajustant sa trajectoire à chaque instant. À quelques mètres de l’impact, il redresse brusquement son vol en utilisant ses ailes comme aérofreins, ce qui lui permet de ralentir pour frapper sa proie avec ses serres, et de pouvoir la tuer instantanément.
Cette technique redoutable demande une précision parfaite. Chaque piqué est un vrai calcul en temps réel, où la moindre erreur pourrait lui être fatale. Pourtant, avec une combinaison d’instinct et d’expérience, le faucon pèlerin ne laisse aucune place au hasard. L’oiseau répète ce geste des centaines de fois au cours de sa vie, avec une efficacité redoutable.
Un corps façonné par l’évolution
Le secret du vol en piqué réside d’abord dans la morphologie exceptionnelle du faucon pèlerin. Son corps à l’allure d’un avion de chasse fuselé réduit au maximum la traînée de l’air, force globale qui s’oppose au mouvement d’un objet dans l’air. Sa queue courte et carrée, associée à ses longues ailes pointues, optimise la pénétration dans l’air et contribue à accroître considérablement sa vitesse lors de sa chasse.
Mais l’adaptation ne s’arrête pas là. Les faucons disposent également de narines dotées d’un petit os conique, un cône de turbulence comparable à celui que l’on retrouve sur les réacteurs d’avion. Il freine l’air entrant et empêche la surpression dans les poumons lorsque l’oiseau atteint plusieurs centaines de kilomètres par heure. Grâce à cette adaptation, le faucon peut respirer normalement tout en maintenant sa précision et son énergie pendant le piqué.
Une vision hors norme
Mais le succès de chasse du faucon pèlerin réside surtout dans sa vue. Elle dépasse de sept à dix fois celle d’un être humain. Là où notre regard devine à peine une forme, lui perçoit chaque battement d’aile, chaque variation de lumière. L’oeil humain ne possède qu’une seule fovéa, zone où se concentrent les cellules de la vision fine. Le faucon pèlerin, lui, en a deux par oeil : une fovéa nasale pour une vision binoculaire précise, et une temporale pour une perception périphérique nette. Ce dispositif lui permet de repérer une proie à plus d’un kilomètre et de calculer sa trajectoire en une fraction de seconde.

Entre nature et culture
À la physiologie extraordinaire et à la vue exceptionnelle du faucon pèlerin s’ajoute une autre singularité héritée de l’évolution : le masque noir en dessous des yeux. Appelées aussi « bandes malaires », elles descendent le long de sa tête comme des larmes noires.
Ces marques ne sont pas uniques à cette espèce mais ont une signification particulière : seuls les plus rapides les portent !
Le guépard, champion du monde terrestre de la vitesse, arbore lui aussi ces mêmes traces sous les yeux. Cette ressemblance n’est pas qu’une coïncidence esthétique. À de telles vitesses, la réverbération du soleil pourrait compromettre la précision de son vol. Or, de couleur noire, « on suppose que ces bandes absorbent la quantité de lumière solaire réfléchie dans les yeux pendant la chasse, améliorant ainsi la vision et la précision dans des conditions de forte luminosité », précise Pascal Carlier.
Une observation que l’histoire humaine confirme. Des peuples indigènes, exposés à des radiations solaires intenses comme au Moyen-Orient, se noircissent le contour des yeux avec des pigments naturels. Ce maquillage, souvent interprété comme ornemental ou rituel, a, en réalité, la même fonction : réduire l’éblouissement et protéger la vue. Chez le faucon comme chez l’humain, la beauté du regard naît donc d’une nécessité : celle de contrer la lumière.