Mouvement

A-t-il toujours fallu être mince pour devenir danseuse de ballet ?

« Tutu » ou « chausson rose », c’est ce qu’évoque généralement le terme de « ballet » ou de « danse classique ». Nous imaginons des corps filiformes, tous identiques et voltigeant sur une scène, tels des plumes qui s’envolent sur la musique. Cette représentation, actuelle, de cette discipline mêlant

Écrit par : Juline Damestoy

[Les femmes] se sont beaucoup, beaucoup amincies

Historiquement, la danse n’était pas un sport de
« fille »

Venant d’Italie, c’est sous le règne de Louis XIV, danseur lui-même, que le ballet s’institutionnalise. Le roi fonde en 1661 l’Académie royale de danse en fixant le vocabulaire et les règles d’apprentissage de la danse. Durant cette période, au XVIIe siècle, les hommes ont l’exclusivité de la scène. Parmi les spectateurs, les femmes les regardent se travestir afin d’interpréter leur rôle. En effet, à cette époque, la danse est connue pour entrainer la mobilité de tout le corps, car certains pas de danses sont semblables à des mouvements de combats. À l’opposé de la vision du ballet du XXIe siècle, il fut un temps où il s’agissait d’une activité réservée aux hommes qui pratiquaient l’art de la guerre.

Dessin : Louis XIV en costume de Soleil dans le ballet La nuit de 1653 (Michel Hennin, 1652-1655). Crédits : Gallica.

Après la Révolution française, les codes de la monarchie masculine (les talons, les perruques et la danse) sont, petit à petit, attribués aux femmes. Considérée comme le « sexe faible », cette nouvelle association sert à décrédibiliser les hommes, qui soutiennent la monarchie. Ainsi, au XVIIIe siècle, il existe une parité de genre. Les femmes deviennent actrices du spectacle, tant sous les lumières que dans les coulisses.

Cette tendance continue, jusqu’à renverser la situation du XVIIe siècle, puisqu’au XIXe siècle, le ballet est perçu comme étant une activité entièrement féminine. Les femmes ne sont plus seulement spectatrices, mais actrices de leurs représentations. C’est à leur tour de se travestir pour interpréter des rôles masculins. Cependant, depuis le règne de Louis XIV, la technique de la danse, ainsi que son esthétique, ont évolué. D’un point de vue technique, la scène s’agrandit, obligeant à effectuer de longs sauts afin de la parcourir. La petite batterie, mise à la mode par le ballet La Sylphide, est un marqueur de l’esthétique romantique. Il s’agit de tous petits sauts, avec des mouvements des pieds ou des bas de jambes assez vifs pour être effectués en l’air. Pour suivre les évolutions techniques, la tenue de scène se modifie. En effet, les jupes se raccourcissent et un nouveau chausson devient l’objet phare de la danse classique : les pointes.

 

Ainsi, il est possible d’observer chaque cambrure du corps de la danseuse, donnant du plaisir au regard masculin.

Lithographie : Maria Taglioni, première danseuse interprétant le premier rôle dans La Sylphide (Janet LANGE, 1830-1839). Crédits : Gallica.

Les hommes, eux, n’ont pas perdu leur influence sur la danse. Ils financent les danseuses et écrivent les critiques de presse où ils manifestent leur goût pour les corps des femmes. En effet, Hélène Marquié, à la fois responsable du département d’Étude de genre à l’Université de Paris 8 et chorégraphe en danse contemporaine, relève que la prouesse technique était accompagnée d’une sexualisation du corps, lorsqu’un homme en était l’auteur.

Le corps des danseuses sous différentes facettes

Le corps des danseuses, à la fois outil de travail et objet de désir pour les spectateurs, est peu documenté : il existe trop peu d’images d’avant le XIXe siècle pour savoir réellement à quoi elles ressemblaient.

Hélène Marquié suppose qu’au début du XVIIIe siècle, les muscles des cuisses et des mollets devaient être développés pour réaliser les multiples sauts et monter sur les pointes. Pour ce qui est de tous les muscles du corps, des pieds au cou, en passant par les bras et le dos, ils devaient être fins et toniques. Ainsi, les codes esthétiques du romantisme influencent les techniques, qui elles-mêmes modèlent le corps des femmes, avec l’accord du regard masculin. Il y avait « une négociation entre les normes sociales, les goûts esthétiques et les évolutions techniques », précise Hélène Marquié.

Par ailleurs, cette musculature est toujours présente. En effet, les ballets les plus connus, comme Casse-Noisette, Le Lac des cygnes, Giselle, sont issus du romantisme. Jusqu’à aujourd’hui, peu de changements sont à noter pour une danse marquée par le XIXe siècle. Cependant, Hélène Marquié relève quelque chose qui est révélateur de nos normes sociétales actuelles : « [Les femmes] se sont beaucoup, beaucoup amincies ». Elle prend l’exemple de Claude Bessy, nommée « Danseuse étoile » à l’Opéra de Paris en 1957. Elle avait un poids classique pour son époque mais paraîtrait au-dessus de la norme de nos jours.
Selon Hélène Marquié, la pression à la maigreur est inhérente à notre société :
« C’est vraiment l’évolution des normes, avec l’apologie de la minceur, ensuite de la maigreur…Ce n’est pas la danse qui fait ça ». Ceci entre en contradiction avec la prouesse technique demandée à une danseuse, qui nécessite force et puissance.