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L’Art de la Respiration : comprendre la résilience du poumon face à la pollution

Sous la direction d’Isabelle Dupin, professeure à l’université de Bordeaux, le projet européen Kintsugi s’intéresse à la capacité du poumon humain à se réparer après des agressions dues à la pollution atmosphérique et au tabagisme. Elle et son équipe explorent les mécanismes biologiques de la résilience pulmonaire à travers des modèles de micro-poumons cultivés en laboratoire.

Écrit par : Willis Waweru

Un pari fou

Isabelle Dupin, professeure en physiologie à l’université de Bordeaux, réalise ses recherches au Centre de recherche cardio-thoracique de Bordeaux (CRCTB).
Crédits : Gautier Dufau

 

La pollution attaque, nos poumons contre-attaquent

L’air que nous respirons contient des millions de particules invisibles qui, jour après jour, agressent nos poumons. Parmi elles, nous retrouvons les particules fines PM2,5 et PM10, dont le diamètre est inférieur, respectivement, à 2,5 et 10 micromètres, soit de 4 à 16 fois plus petit que celui d’un cheveu humain. Leur taille les rend particulièrement néfastes car elles ont tendance à se déposer dans les petites voies aériennes et les alvéoles pulmonaires, soit en profondeur dans les poumons.

Schéma représentant la pénétration des particules fines dans l’appareil respiratoire.
Crédits : SDES – Statistique publique de l’énergie, des transports, du logement et de l’environnement

Selon l’Organisation mondiale de la santé, la pollution de l’air cause environ 6,7 millions de décès prématurés chaque année, notamment par des maladies respiratoires chroniques, comme la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Celle-ci se caractérise par un rétrécissement progressif des bronches, allant à une obstruction permanente. Pour les personnes atteintes de cette maladie, cela entraîne une limitation des flux d’air et dans les formes plus graves une insuffisance respiratoire.

Cependant, tout le monde n’est pas égal face à la pollution. De rares personnes peuvent vivre en fumant sans rencontrer de problèmes majeurs, alors que les pics de pollution en ville peuvent irriter les voies respiratoires de certains. C’est à cette différence de réaction et de résilience que s’intéresse le projet Kintsugi, lancé en juillet 2025 pour une durée de cinq ans. 



Le projet tire son nom d’un art japonais consistant à réparer une céramique brisée avec de la laque saupoudrée de poudre d’or, une métaphore du pouvoir de régénération du poumon.

Dirigé par Isabelle Dupin au Centre de recherche cardio-thoracique de Bordeaux, ce programme vise à percer les secrets des glandes sous-muqueuses, des structures situées dans la trachée et les bronches.

Ces glandes jouent un rôle essentiel dans la défense des voies respiratoires. Elles produisent le mucus qui piège et élimine une partie importante des particules inhalées. De plus, elles abritent des cellules immunitaires capables de neutraliser les intrus. Enfin, elles hébergent des cellules souches susceptibles de régénérer le tissu pulmonaire. Mais ces mécanismes de protection peuvent s’user avec le temps ou sous l’effet d’une exposition prolongée à la pollution.

Schéma explicatif de la BPCO. Cette maladie chronique est, dans plus de 80 % des cas, causée par le tabagisme.
Crédits : Ameli, modifié par Willis Waweru

Organoïdes : de petits « poumons » au laboratoire

Pour comprendre cette usure et les possibilités de réparation, l’équipe de recherche utilise des cellules humaines prélevées sur des patients opérés du poumon, avec leur consentement et dans un cadre éthique strict. Ces cellules servent à créer des organoïdes, sortes de micro-poumons en trois dimensions. Les modèles créés grâce à eux permettent d’observer comment les bronches et les glandes réagissent face aux particules polluantes y compris la fumée de cigarette. Cela aide les chercheurs·euses à identifier les voies biologiques de la résilience.

Le terme résilience, largement utilisé dans de nombreux domaines, a nécessité une réflexion approfondie. Pour affiner cette notion, Isabelle Dupin a fait appel à Maël Lemoine, professeur en philosophie des sciences médicales. Cette collaboration pluridisciplinaire a permis à la chercheuse de « poser la bonne question », précise-t-elle et de mieux cerner son hypothèse de départ. Ensemble, ils sont arrivés à définir la résilience des poumons comme leur capacité d’adaptation aux agressions, afin de retrouver un état fonctionnel aussi proche que possible de l’initial.

Un « pari fou » devenu réalité

Le projet a eu la joie d’obtenir, en 2024, une bourse de près de 2 millions d’euros du Conseil européen de la recherche (ERC), un financement qu’Isabelle Dupin qualifie de « pari fou ». Ce soutien lui permet aujourd’hui de recruter du personnel compétent et enthousiaste à l’idée de travailler sur le sujet.

Les premiers résultats, encore préliminaires, laissent entrevoir des pistes prometteuses pour mieux comprendre comment nos poumons se défendent et se réparent. À terme, ce projet de recherche pourrait contribuer à améliorer la prévention et le traitement des maladies respiratoires chroniques, qui figurent parmi les principales causes de mortalité au niveau mondiale. Comme le Kintsugi japonais, ce projet donne à voir la beauté de la réparation, invisible mais vitale, de notre respiration.