Voir au-delà des images
Eve Benhamou
Lorsque Eve Benhamou, maîtresse de conférences en études cinématographiques à l’Université Bordeaux Montaigne, pousse la porte de la salle de réunion, nous sentons immédiatement qu’elle apporte une certaine bienveillance avec elle. Son accent toulousain adoucit chaque syllabe. Curieuse et engagée, elle étudie comment chaque image raconte une histoire de représentation et porte un sens socio-culturel.
Trois chemins qui convergent
Au commencement de ses études supérieures, Eve ne se destinait pas encore à la recherche. À Toulouse, elle suit une licence d’anglais classique, jusqu’à ce que trois cours permettent de faire apparaître son intérêt pour la recherche. D’abord, un cours sur le genre en Histoire, « cette façon d’aborder la discipline était nouvelle pour l’étudiante que j’étais », qui l’oblige à questionner les minorités. Puis, un autre autour de la civilisation américaine, notamment le conservatisme. Et soudain, le déclic : un cours sur les études filmiques. Elle comprend alors que le cinéma peut être une porte d’entrée pour comprendre une société. Comment conjuguer ces trois intérêts ? Comment explorer le genre, les États-Unis et le cinéma dans un même objet d’étude ?
La réponse s’impose peu à peu : Disney. « Les studios Disney, c’est une machine complexe, traversée de tensions entre progressisme et conservatisme et qui traite la question du genre de plusieurs points de vue », précise-t-elle. Elle entame alors son mémoire de master sur les films d’animation américains, première étape d’un long parcours de recherche.
Les studios Disney, c’est une machine complexe, traversée de tensions entre progressisme et conservatisme et qui traite la question du genre de plusieurs points de vue.
Entre rupture et nostalgie
Son amour pour la langue anglaise la pousse à traverser la Manche. En Angleterre, elle creuse davantage, affine sa thèse sur les films Disney réalisés entre 2008 et 2016. En 2022, elle publie en langue anglaise Contemporary Disney Animation : Genre, Gender and Hollywood (L’animation Disney contemporaine, le genre et Hollywood).
Son livre questionne Disney à un moment charnière : quand le studio s’agrandit (avec le rachat d’autres studios de création comme Pixar ou Marvel), comment définit-on encore « l’animation Disney » ? Elle y montre que les nouveaux films Disney alternent entre avancées féministes et retours à des représentations plus traditionnelles et nostalgiques.
Par ailleurs, cette étude de la nostalgie a nourri son envie d’organiser un colloque sur les usages de la nostalgie au cinéma, prévu les 30 mars et 1er avril 2026 (plus d’informations ici). L’objectif ? Comprendre comment les images qui évoquent la nostalgie sont fabriquées.
Des rencontres marquantes
« J’ai envie de citer mes trois directeur·rice·s de recherche. Car iels constituent des personnes essentielles à la réussite d’un travail. Zachary Baqué, mon directeur de mémoire, et Kristian Moen et Sarah Street qui ont suivi ma thèse et qui sont toujours en Angleterre d’ailleurs. Ce sont de vraies personnes ressources pour moi. »
Un regard en mouvement
Aujourd’hui, Eve élargit son champ de recherche. Elle s’intéresse aux studios d’animation européens, comme Cartoon Saloon en Irlande ou Aardman au Royaume-Uni, qui se distinguent de Disney en privilégiant d’autres techniques d’animation comme le stop-motion ou le dessin traditionnel.
Ce qui la motive dans son métier, c’est la liberté intellectuelle. « En France, on a encore la chance de pouvoir traiter des sujets de genre, de féminisme, d’intersectionnalité sans crainte », explique-t-elle. Cette ouverture guide également son enseignement. Désormais, c’est auprès de ses étudiant·e·s de l’Université Bordeaux Montaigne, où elle vient de faire sa rentrée cette année, qu’elle transmet son savoir.
Nour Smili
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