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Alerte sur le littoral : quelles conséquences pour la vie sauvage ?

La pollution lumineuse nocturne n’éclaire pas seulement nos villes, mais perturbe aussi les rythmes biologiques et les mouvements d’espèces marines et terrestres. Malheureusement, ce phénomène est encore peu étudié, en particulier en milieu aquatique et littoral.

Écrit par : Baptiste Raynal

On va plutôt vers une diminution progressive de la pollution lumineuse.

Représentation de l’exposition à la pollution lumineuse en cœur de nuit en France hexagonale en 2023.
Crédits : Dark Sky Lab, 2023, SDES, OFB, 2025 | Fonds cartographiques IGN | Traitements : OFB

Un constat alarmant

La pollution lumineuse correspond à la présence excessive et gênante de lumière artificielle durant la nuit. Selon les dernières données disponibles en France, en 2023, près de 72 % de la partie terrestre de la France hexagonale est exposée à un niveau élevé de pollution lumineuse. Ce chiffre est en baisse de 19 % depuis 2014. Cette pollution représente un gouffre énergétique qui pousse les communes à revoir leurs politiques d’éclairage, et constitue une menace silencieuse pour l’environnement, tant elle affecte les cycles naturels jour-nuit dont dépendent de très nombreuses espèces animales.

La majorité des études et des débats sur le sujet concernent la pollution lumineuse en milieu terrestre : « Le milieu aquatique et le littoral en particulier sont très peu étudiés. Ça commence à l’être maintenant mais on a très peu de recul dessus », précise Damien Tran, chargé de recherche au CNRS à la station marine d’Arcachon. Il existe encore trop peu de données et très peu de recul quant aux conséquences sur les écosystèmes ou les espèces concernées.

La pollution lumineuse sur le littoral est différente de celle en milieu terrestre Tout d’abord, ce n’est pas une pollution lumineuse directe comme celle des rues, magasins ou habitations qui produisent des lumières intenses et localisées. « Sur le littoral, bien qu’il y ait des éclairages publics le long des côtes, ou des sources ponctuelles très importantes en pleine mer liées au trafic maritime, la majorité du phénomène est due au « skyglow » (lueur du ciel) », explique Damien Tran. Ce terme évoque la lumière des éclairages directs des villes environnantes qui va se réfléchir sur la couverture nuageuse et ainsi polluer à des centaines de kilomètres, à la surface de l’eau.

Plus simplement, en milieu aquatique et sur le littoral, la pollution lumineuse est de plus faible intensité, mais elle est présente sur de grandes distances.

ALAN dérange

Artificial Light At Night (ALAN), ou lumière artificielle nocturne (LAN) en français, a une réelle influence sur les mouvements essentiels des formes de vie en milieu aquatique. Ces déplacements sont rythmés par des cycles de lumière naturelle, qu’elle provienne du Soleil ou de la Lune.

Par exemple, la migration verticale journalière du zooplancton, considérée comme la plus importante migration au monde en termes de biomasse, est régulée par l’alternance du jour et de la nuit. Ces organismes vont s’enfoncer dans les profondeurs le jour pour éviter les prédateurs, et remonter la nuit pour se nourrir. ALAN va venir perturber cette migration journalière, comme nous l’explique Damien Tran : « A cause des pollutions lumineuses qu’il peut y avoir, notamment par les transports maritimes, avec des bateaux, ou alors des rivages avec les habitations humaines, ces animaux sont leurrés, et donc perturbés. »

LUCIOLE à la rescousse

Initié en 2022 par le CNRS et l’université de Bordeaux pour une durée de quatre ans, et financé par l’ANR (Agence nationale de la recherche), le projet LUCIOLE a pour objectif de caractériser l’impact de la lumière artificielle nocturne sur les zones côtières

Dans un premier temps, les recherches ont été menées en laboratoire, à la station marine d’Arcachon, dans le but de quantifier les effets de la pollution lumineuse sur les huîtres (utilisées comme espèces modèles), plates et creuses.

Vue aérienne de la station marine d’Arcachon. 
Crédits : SIBA – B. RUIZ | Site de l’UMR EPOC : https://www.epoc.u -bordeaux.fr

Avec son équipe de chercheurs, et notamment grâce au travail de thèse d’Audrey Botté, Damien Tran a pu tester en conditions contrôlées différentes gammes d’intensités lumineuses, diverses modalités d’exposition, mais aussi l’impact de la qualité de la lumière avec l’utilisation d’éclairages monochromatiques (bleu, rouge ou vert), sur l’expression de gènes impliqués dans la perception de la lumière et du rythme circadien, ainsi que sur le comportement d’ouverture et de fermeture des valves de l’huître.

Son équipe a également étudié l’impact d’ALAN sur le microbiote branchial des huîtres–ensemble de microorganismes vivants dans un environnement spécifique ici les branchies-, ainsi que sur la croissance de leurs coquilles pour essayer de caractériser l’impact de cette pollution sur plusieurs facteurs physiologiques.
La deuxième phase de ce projet concerne des études de terrain où, pendant un an, une étude en continue a été réalisé pour observer plus précisément l’impact d’ALAN.

La pollution lumineuse, longtemps négligée, est aujourd’hui reconnue comme un véritable enjeu environnemental. Les travaux menés dans le cadre du projet LUCIOLE contribuent à mieux comprendre ses effets sur les écosystèmes aquatiques et les espèces qui y vivent : « De manière générale, on va plutôt vers une diminution progressive de la pollution lumineuse par rapport à ce qui se faisait peut-être 10 ans auparavant », conclut Damien Tran.