Comment Mars a bouleversé notre vision du monde
Depuis longtemps, l’humanité a cherché à comprendre l’Univers et ses mouvements. Néanmoins, cela n’a pas été de tout repos. La planète Mars, en particulier, a souvent résisté aux prédictions. Explications avec Denis Savoie, astronome spécialisé en histoire des sciences, chercheur associé au SYRTE (Observatoire de Paris) et conseiller scientifique à Universcience.
Écrit par : Émilie Etienne
Une fois qu’une espèce est présente, c’est presque impossible de l’éradiquer car la connexion avec le milieu est très forte. Aujourd’hui, nous faisons surtout de la prévention.
Le système parfait de Ptolémée
Remontons au IIe siècle après notre ère alors que la pax romana (paix romaine) bat son plein et Claude Galien, père de la médecine moderne, expérimente sur le fonctionnement du corps humain. Dans un coin d’Alexandrie, nous retrouvons Claude Ptolémée, astronome entre autres, en pleine écriture de son plus grand ouvrage : l’Almageste. Ce dernier est un traité d’astronomie qui dominera la pensée du IIe au XVIIe siècle. Sa vision du monde y est décrite entre observations, modèles cosmologiques et outils mathématiques.
Pour Ptolémée et la plupart des Grecs anciens, la Terre était au centre de l’Univers : c’est le géocentrisme. De plus, les croyances religieuses de l’époque décrivent un Univers « parfait » où le mouvement des astres est circulaire et uniforme. Néanmoins, ce n’est pas ce qui était observé. « À l’époque de Ptolémée, on s’est rendu compte qu’il y avait des anomalies dans les mouvements astraux qu’on a du mal à expliquer. Tantôt les planètes progressent dans un sens, s’arrêtent, font demi-tour et repartent », précise Denis Savoie. Ce phénomène s’appelle une boucle de rétrogradation.
Pour le résoudre, Ptolémée formalise une solution : l’épicycle. Les astres tourneraient autour d’un point, qui lui-même tournerait autour de la Terre. Prenons l’exemple de deux compas, l’un serait le « déférent » dont la pointe pique sur la Terre. Son crayon correspond quant à lui au deuxième compas, appelé « l’épicycle ». C’est grâce à ce deuxième compas que nous pouvons tracer le mouvement de nos astres. Nous retrouvons alors nos cercles parfaits.
Pour la vitesse supposément uniforme, Mars commence déjà à poser problème. Ptolémée doit mettre en place ce qu’on appelle un « équant ». Il explique que le centre du cercle déférent n’est cette fois pas la Terre, mais un point plus excentré à celle-ci.
Brahé et l’exception martienne
Ce système reste toutefois imparfait. Faisons un saut dans le temps, au XVIe siècle, pour rejoindre Tycho Brahé, astronome danois qui met un point d’honneur à l’observation. Il va jusqu’à construire un observatoire nommé Uraniborg (en hommage à Uranie, muse de l’astronomie). Et c’est grâce à ces observations que Brahé remarque une anomalie dans la trajectoire de Mars.
En parallèle, le Polonais Nicolas Copernic formalise son système dit « héliocentrique », celui que nous connaissons maintenant : les planètes tournent autour du Soleil. « Brahé va essayer de faire rentrer le modèle de Mars dans son système géo-héliocentrique intermédiaire, – le Soleil tourne autour de la Terre, mais les planètes, elles, tournent autour du Soleil, ndlr – et comme il n’y arrive pas, il fait appel à un jeune mathématicien brillant en lui demandant de résoudre ce problème : l’allemand Johannes Kepler. C’est encore une fois Mars qui va jouer un rôle important dans l’histoire de l’astronomie pour des raisons liées à l’excentricité de son orbite », explique Denis Savoie.
Le génie de Kepler
Pour faire correspondre les observations de Brahé avec un système viable, Kepler doit tout changer. Il publie toutes ses observations dans un ouvrage nommé Astronomia Nova (1609), décrivant avec précision sa démarche scientifique.
« C’est encore une fois Mars qui va jouer un rôle important dans l’histoire de l’astronomie pour des raisons liées à l’excentricité de son orbite ».
Pour Kepler, les planètes se déplacent autour du Soleil en décrivant une ellipse. Il formulera son idée, connue aussi sous le nom de première loi de Kepler : « Chaque planète décrit, dans le sens direct, une ellipse dont le Soleil occupe l’un des foyers (centre du cercle, ndlr) ».
Un peu de géométrie pour expliquer ce qu’est une ellipse : une ellipse est une sorte d’ovale, et contrairement au cercle, elle a besoin de deux foyers pour se créer. En effet, chaque foyer possède son propre rayon, et quand ils se rejoignent en un point, leur somme doit être constante, peu importe où nous sommes sur l’ellipse. Pour cela, les rayons s’allongent et se raccourcissent.
Pour Kepler, les trajectoires des astres célestes suivent ce principe, avec le Soleil comme l’un des deux foyers. Évidemment, cette nouvelle ne plaît pas à tout le monde, Galilée le premier. Néanmoins, au fil du temps, cela permettra de détruire l’ordre cosmique hérité d’Aristote et de Ptolémée. « Petit à petit, l’humain qui par essence est très orgueilleux et anthropocentrique va s’apercevoir que nous n’avons aucune situation privilégiée dans l’Univers », conclut Denis Savoie. Mars a donc participé à la mise en lumière des contradictions de l’époque, et fait progresser la science.