Entre dolmens et ADN : mouvements funéraires au Néolithique dans le Sud-Ouest
Chercher à retracer l’évolution des pratiques funéraires des communautés préhistoriques du Sud-Ouest entre le Néolithique et l’Âge du Bronze, tel est l’axe de recherche du projet LINK.
Écrit par : Nour Smili
Le Néolithique et l’Âge du Bronze sont des périodes de profondes transformations du paysage funéraire.
En France, plus de mille dolmens parsèment encore les terres de l’Aveyron. Témoins du passé, ils racontent la manière dont les sociétés préhistoriques ont honoré leurs morts. Mais ces monuments ne représentent qu’une partie du patrimoine funéraire.
Des tombes collectives aux espaces individuels
À l’aube du Néolithique, les morts reposent ensemble. Dans des grottes, sous des dolmens ou dans des cavités aménagées, les défunts sont déposés dans un même espace, formant peu à peu une accumulation d’ossements sans connexions. Ces sépultures collectives sont bien plus que des tombeaux : elles traduisent une vision communautaire de la mort, où le groupe prime sur l’individu. Cependant, ces pratiques funéraires sont amenées à évoluer. « Le Néolithique et l’Âge du Bronze sont des périodes de profondes transformations du paysage funéraire », souligne Ana Arzelier, post-doctorante travaillant au sein du projet LINK.
Vers 2500 avant notre ère, période correspondant au début de l’Âge du Bronze, un changement s’opère. Dans certaines régions d’Europe, on commence à enterrer les morts seuls, parfois accompagnés d’un vase campaniforme (type de poterie en forme de cloche caractéristique de l’époque), d’un poignard ou d’autres objets significatifs.
Une nouvelle façon d’honorer les défunts apparaît alors. Cette fois, on ne célèbre plus seulement la communauté : on distingue la personne en lui offrant son propre
espace. C’est cette bascule que les chercheurs du projet LINK cherchent à comprendre. Pourquoi un tel changement ? Est-il le reflet d’une transformation sociale ? D’un nouvel imaginaire de la mort ? Ou bien le signe d’échanges culturels entre différentes populations ayant migré ?
Le Sud-Ouest, un terrain encore plein de mystères
Pour répondre à ces questions, le projet croise anthropologie, paléogénomique et archéologie. Grâce à l’analyse génétique des ossements retrouvés, les scientifiques parviennent à retracer les liens de parenté entre les individus des cavités sépulcrales, à identifier leur sexe biologique et parfois même leur origine géographique.
Ces données, croisées avec l’archéologie, permettent de définir les contours de sociétés en pleine mutation, où les rites funéraires deviennent peu à peu le miroir des hiérarchies et des transformations culturelles.
Les résultats interpellent. Par exemple, au sein du site funéraire de l’Aven de la Boucle, dans le Gard, environ 70 % des individus identifiés sont génétiquement masculins. Nous sommes donc loin de la parité exacte. Cela suggère que l’accès à la sépulture n’était pas aléatoire et pourrait être hérité du père (son statut, sa fonction…). « Les données génétiques complètent l’archéologie en offrant une vision nouvelle », relève Ana Arzelier. « Elles nous aident à comprendre qui accédait à ces sépultures et pourquoi. »
Mais attention, cette surreprésentation masculine n’équivaut pas à une exclusion des femmes. Certaines femmes ont également accès à la sépulture, probablement par alliance matrimoniale ou appartenance à une lignée importante. Le tableau reste nuancé. Par ailleurs, ces sociétés étaient patrilocales, c’est-à-dire que les
femmes rejoignaient généralement la communauté de leur conjoint, ce qui explique une diversité génétique plus importante chez elles.
Une disparité dans les pratiques
Grâce aux analyses d’ADN et à l’étude du mobilier, les chercheurs ont pu comprendre que les pratiques funéraires dans le Sud-Ouest n’étaient pas uniformes. Certaines zones demeurent fidèles aux tombes collectives jusqu’à la fin du Néolithique. D’autres adoptent plus tôt les pratiques individuelles de l’Âge du Bronze.
Ces variations reflètent-elles des migrations, des influences culturelles externes, ou simplement des choix locaux ? La question reste ouverte. Ce qui est sûr, c’est que ces transformations funéraires incarnent un changement de vision de la mort. Passer du collectif à l’individuel, c’est modifier la place de chacun dans le groupe.
Le projet LINK se terminera en 2026, mais certains mystères ne seront jamais résolus. Comme le précise Ana Arzelier : « L’architecture de la pensée symbolique des Hommes du Néolithique, c’est quelque chose que l’on n’aura jamais… On peut essayer d’approcher les gestes qu’ils ont faits, mais les raisons qui les ont poussées à faire un geste, on ne le saura jamais ».
