Espèces non indigènes : prédire l’invasion pour protéger la Méditerranée
Les ports méditerranéens, véritables refuges pour la vie marine, font face actuellement à un déséquilibre écologique. Un nouveau projet de 2025, mené par l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), cherche à comprendre et à anticiper la propagation des espèces marines non indigènes qui menacent la biodiversité locale.
Écrit par : Emma Le Garrec
Une fois qu’une espèce est présente, c’est presque impossible de l’éradiquer car la connexion avec le milieu est très forte. Aujourd’hui, nous faisons surtout de la prévention.
En France, nous comptabilisons un grand nombre de ports de commerce et de plaisance. Ces lieux artificiels représentent principalement des intérêts commerciaux mais également écologiques. Grâce à ces autoroutes maritimes et aux structures artificielles mises en place, les ports sont de véritables oasis de vie.
Ils y abritent une grande diversité d’espèces marines telles que des poissons, des éponges marines, des vers marins ou encore de nombreuses algues.
Cependant, depuis plusieurs années, le paysage portuaire sous-marin ne ressemble plus à ce qu’il était il y a 20 ans. Avec de forts flux maritimes qui s’accentuent chaque année, les espèces locales disparaissent et laissent place à des espèces dites non indigènes, organismes qui sont transportés par l’humain en dehors de leur habitat naturel d’origine.

Un regard nouveau sur les espèces marines exotiques
Amélia Curd est chercheuse en écologie marine et responsable du projet DENIM (Déterminer le caractère envahissant des espèces non indigènes marines métropolitaines), à l’Ifremer de Brest. Son travail consiste à « déterminer le caractère envahissant des espèces non indigènes marines métropolitaines », explique-t-elle. Le projet de recherche se focalise uniquement sur les ports méditerranéens français tels que Toulon ou Sète.
Cette mer est, en effet, l’une des régions les plus touchées par l’introduction d’êtres vivants exotiques. C’est le cas du crabe bleu, Callinectes sapidus, espèce originaire de la côte est des États-Unis qui a été introduite depuis les années 1940 en Europe, mais qui a vu récemment sa population augmenter. « Une fois qu’une espèce est présente, c’est presque impossible de l’éradiquer car la connexion avec le milieu est très forte. Aujourd’hui, nous faisons surtout de la prévention », confie Amélia Curd.

Il existe différents moyens d’importation des organismes marins.
Le canal de Suez en est le principal vecteur, reliant ainsi la mer Rouge et le bassin méditerranéen. À cela s’ajoutent également l’élevage, le transport maritime avec les eaux de ballast, les parties immergées des navires qui sont colonisées, ou encore l’aquariologie avec l’étude du cycle de vie des poissons dans les aquariums.
Ces voies d’introduction, couplées aux changements des conditions climatiques, permettent à la mer Méditerranée de devenir un environnement propice à l’installation et à la prolifération d’espèces non indigènes.
Des données précieuses pour le futur
Dans la première phase de ce projet, il est question de récolter des bases de données existantes sur l’identification des espèces exotiques dans le biofouling. Il s’agit de la colonisation d’êtres vivants sur des surfaces dures immergées, comme les coques de navires ou encore les infrastructures portuaires. Les données sont par la suite analysées en prenant en compte les traits de vie d’un animal,
c’est-à-dire les caractères de vie d’un organisme tels que la durée de vie ou le mode de reproduction. « C’est une manière de standardiser la vie, de pouvoir comparer les espèces entre elles et de connaître leur gamme de tolérance face à des conditions environnementales variables telles que la température ou la salinité », précise Amélia Curd.
L’importance de prédire l’évolution des espèces exotiques
Fin 2026, les chercheurs du projet auront une vision de l’aire de répartition de chaque organisme marin non natif en Méditerranée, afin de comprendre comment vont se comporter les espèces exotiques dans le biofouling et ainsi prévoir « lesquelles vont devenir abondantes, voire envahissantes, et surtout pourquoi », souligne-t-elle. Les espèces envahissantes entraînent des impacts écologiques, économiques ou sanitaires, voire les trois en même temps. L’objectif des résultats de ce projet est de fournir des données concrètes aux collectivités, afin de limiter et prévenir l’introduction de nouvelles espèces sur la façade française méditerranéenne, et de mettre en place des mesures pour maintenir la biodiversité marine actuelle.