Mouvement

De Grenade à la Gironde :
le parcours côtier d’une chercheuse

Isabel Jalón Rojas

Isabel Jalón Rojas, chercheuse en dynamique côtière au laboratoire EPOC*, et coordinatrice du projet de l’Agence nationale de la recherche « PLASTINEST » sur les microplastiques en estuaires, étudie la manière dont l’eau déplace, accumule ou disperse les matières dans les zones littorales. Née à Porcuna, au milieu d’une mer d’oliviers andalouse, elle a fait de la Gironde son nouveau terrain de recherche et de vie

Isabel Jalón Rojas. Crédits: R3 RIVAGES / B.Caillaud

Quand on s’assoit en face d’elle dans son bureau, tout semble immobile : un ordinateur, quelques dossiers, une chercheuse derrière ses lunettes qui prend le temps pour s‘exprimer. Il suffit pourtant de l’entendre parler, avec son accent espagnol, pour que le décor se mette en mouvement : Grenade, Santander, Bordeaux, l’Australie, puis le retour en Gironde. Son parcours ressemble à ce qu’elle vit aujourd’hui : des trajectoires qui se croisent, des allers-retours entre les rivages et les océans, avec en toile de fond une même constante : le mouvement.

Du génie civil à la protection des côtes

Rien, au départ, ne la destinait à devenir chercheuse au CNRS. À Grenade, Isabel se forme au génie civil, imaginant plutôt un avenir fait de ponts, de routes et d’infrastructures. Lors d’une visite de chantier ferroviaire, on lui explique que la terre et l’eau de la rivière sont prélevées de nuit, à l’abri des regards, pour « ne pas compliquer » le chantier. La scène la dérange profondément. « Je me suis dit : je ne veux jamais être dans cette situation », confie-t-elle. Elle souhaite appliquer ses connaissances à la protection de l’environnement et éviter ces situations où les attentes entrent en conflit avec ses valeurs.
Un second tournant vient avec son projet de fin d’études, consacré à l’hydrodynamique d’une baie côtière. Elle y découvre autre chose que des calculs appliqués : la possibilité de poser des questions, de tester des hypothèses, de « faire avancer » un peu la connaissance plutôt que de suivre un cahier des charges. Ce contact avec la méthode scientifique la pousse à changer de cap. Elle laisse derrière elle le génie civil classique, part à Santander pour se spécialiser en hydrodynamique environnementale, puis rejoint Bordeaux pour une thèse sur un estuaire qui deviendra son système de référence : la Gironde.

Ce n’est pas toujours facile car on ne parle pas le même langage scientifique, mais c’est très stimulant

L’Australie et le tournant des microplastiques

Le voyage ne s’arrête pas là. Après sa thèse, Isabel part faire un post-doctorat en Australie. Le projet pour lequel elle a été recrutée avance vite, et elle se retrouve à chercher une nouvelle question à explorer. Trois éléments s’alignent alors. Dans les médias espagnols, le terme microplástico (microplastique en français) est choisi comme mot de l’année, signe de l’inquiétude grandissante autour de ces fragments de plastique invisibles. Sur les plages australiennes qu’elle parcourt lors de ses temps libres, elle découvre des paysages en apparence paradisiaques… dont la laisse de mer (débris naturels déposés par la mer) est pourtant constellée de petits morceaux de plastique.
Enfin, lors d’un séminaire à Canberra en Australie, elle assiste à une présentation où le plastique est traité comme une particule neutre, inerte, sans tenir compte de sa densité, de sa forme ou de sa capacité à couler, se déposer puis être remis en suspension. Avec son regard de spécialiste des sédiments, elle y voit immédiatement un vide : « là, il y a quelque chose à faire ». C’est ainsi qu’elle se met à suivre la trace des microplastiques dans les estuaires.

Une rencontre avec la société

Lors de la dernière Fête de la science, Isabel a proposé d’elle-même aux habitants de son quartier une présentation de ses recherches. Une initiative simple, qui révèle beaucoup : pour elle, créer un lien entre la société et les chercheurs est essentiel. Ce type de démarche lui rappelle que ses travaux sur l’estuaire ne restent pas confinés au laboratoire, mais concernent aussi directement les gens qui l’entourent.

Un pied sur le terrain, l’autre dans les modèles

Dans son travail quotidien, Isabel refuse de choisir entre terrain et modèles. Elle tient à aller voir les milieux de ses propres yeux, à prendre les mesures et à se confronter à la réalité. Puis elle bascule du côté des équations et des simulations numériques, pour rejouer ce qu’elle a observé, remonter le fil des processus et imaginer des scénarios de changements futurs. Cette circulation constante entre observations et modélisation nourrit aussi son goût pour les collaborations pluridisciplinaires : physiciens, chimistes, biologistes, écotoxicologues… « Ce n’est pas toujours facile car on ne parle pas le même langage scientifique, mais c’est très stimulant », dit-elle.
Entre son accent roulant qui rappelle l’Espagne, les estuaires où elle travaille et les allers-retours entre continents qui ont jalonné son parcours, Isabel apparaît comme une chercheuse en mouvement. Un mouvement discret, qui se lit dans ses choix successifs : changer de pays, réorienter ses sujets, revenir vers la Gironde après l’Australie… Mais aussi dans les allers-retours permanents entre les rivages qu’elle arpente et ceux qu’elle reconstitue sur son écran.

* Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux, sous la tutelle de l’université de Bordeaux, le CNRS via l’institut national des sciences de l’univers, l’institut polytechnique de Bordeaux et l’école pratique des hautes études.

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Matéo Ramuscello Fontes

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