Quand le gras influence notre capacité à passer à l’action
Souvent perçues comme néfastes, les graisses alimentaires sont pourtant indispensables au bon fonctionnement du cerveau. Certaines d’entre elles, loin d’être nocives, participent à la structure même des neurones. Le biologiste Pierre Trifilieff explore comment ces mêmes graisses peuvent affecter notre motivation voire nos comportements.
Écrit par : Thomas Sanchez
Ce dont on s’est rendu compte, c’est qu’un déficit chronique en graisses polyinsaturées, de la naissance jusqu’à l’adolescence, provoque à l’âge adulte une diminution de la motivation et une augmentation de l’impulsivité

Crédits : UNSPLASH / Engin Akyurt.
Toutes les graisses ne se valent pas. Les graisses saturées, présentes dans les produits transformés comme la charcuterie, les viennoiseries ou les fromages, pour ne citer qu’eux, s’opposent aux acides gras polyinsaturés – les fameux oméga-3 et oméga-6, que l’on retrouve dans l’huile de tournesol, les noix, les sardines ou encore le thon.
Le gras, un allié du cerveau
La première catégorie d’acides gras augmente le « mauvais » cholestérol, dit LDL (pour « low-density lipoprotein »), ce qui participe à l’athérosclérose, à savoir au dépôt de graisse dans les artères. Elle présente donc un risque sur le plan cardiovasculaire.
Quant aux acides gras polyinsaturés, ils entrent dans la composition de nos membranes cellulaires, et donc dans celles de nos neurones également. « Ils jouent, de surcroît, un rôle majeur dans le développement de nos neurones, c’est-à-dire dans leur faculté à s’interconnecter pour former un réseau », explique Pierre Trifilieff, directeur de recherche à l’Inrae (unité Nutrineuro).
Le chercheur souligne dans le même temps qu’un régime pauvre en graisses polyinsaturées peut avoir de sérieuses répercussions sur ce que l’on appelle les fonctions exécutives, essentiellement régies par le cortex préfrontal de notre cerveau. Celles-ci regroupent plusieurs compétences dont la mémoire de travail, la capacité à planifier des actions voire l’adaptation à l’imprévu. Le verdict est sans appel : « Ce dont on s’est rendu compte, c’est qu’un déficit chronique en graisses polyinsaturées, de la naissance jusqu’à l’adolescence, provoque à l’âge adulte une diminution de la motivation et une augmentation de l’impulsivité », conclut le scientifique.
Le rôle insoupçonné des lipides polyinsaturés
Pierre Trifilieff et son équipe ont alors focalisé leurs recherches sur les membranes des cellules neuronales. Ils se sont plus précisément intéressés à un récepteur présent dans la membrane, appelé récepteur D2. Ledit récepteur membranaire est connu pour être sensible à la dopamine, une molécule que notre organisme produit, et qui, entre autres choses, influence directement, et de manière positive, la motivation.
Via cette démarche, les chercheurs souhaitaient ainsi vérifier si la composition lipidique des membranes influençait directement le fonctionnement de ce récepteur à dopamine.
Et il semblerait bien que oui ! Le récepteur D2 verrait sa sensibilité à la dopamine augmentée par la présence d’oméga-3 dans la membrane. Ces travaux suggèrent qu’un cerveau, dont les apports en graisses polyinsaturées sont suffisants, est plus sensible (et donc plus réceptif) à la dopamine qu’un cerveau dans lequel ces apports sont insuffisants. De fait, dans le premier cas, la motivation chez l’individu ne serait pas diminuée, alors que dans le second, elle pourrait l’être.
Le scientifique relève au passage « une piste intéressante, même si des études complémentaires sont nécessaires, pour mieux comprendre la réponse de certains patients traités aux antipsychotiques », des médicaments que l’on prescrit aux personnes atteintes de schizophrénie notamment, mais qui induisent aussi des troubles de la motivation de par leur capacité à bloquer massivement l’action de la dopamine dans le cerveau.

Crédit : UNSPLASH – Bioscience Image Library by Fayette Reynolds.
De la recherche fondamentale à la nutrition personnalisée ?
Mais alors, qu’en est-il de la nutrition personnalisée, une approche encore en développement, qui consiste à proposer un régime et des compléments alimentaires adaptés aux besoins spécifiques de chacun ? Serait-ce un moyen efficace de se prémunir contre d’éventuelles carences ?
Selon l’expert, cette « mode de la nutrition personnalisée » serait éventuellement une perspective intéressante pour les personnes atteintes d’une pathologie métabolique. Mais pour la grande majorité des individus, une alimentation variée et équilibrée suffit à prévenir toute carence.
Le cerveau, miroir de notre assiette
Le scientifique nous met cependant en garde : un cerveau en développement se montre particulièrement vulnérable aux effets d’une alimentation déséquilibrée. Les régimes obésogènes, à base de sucres simples (comme le saccharose) et de graisses saturées, peuvent altérer de manière significative des processus aussi fondamentaux que la mémoire.
Ces observations rappellent que notre cerveau n’est pas seulement le siège de nos pensées : il est aussi le reflet de ce que nous mangeons.